Bonjour
Source le CD La Résistance dans l'Orne
Bernard Jardin (1920-1946)
Bernard Jardin est né le 16 août 1920 à Argentan d'un père agriculteur et d'une mère hôtelière. A treize ans, il quitte l'école laïque pour entrer dans une école privée où il ne restera en définitive qu'une seule année, la mort de son père l'obligeant à regagner ses foyers. Au mois de septembre 1934, sa mère vend l'hôtel. Commence alors une période difficile pour le jeune Bernard ; malade, immobilisé pour faiblesse des os, il est obligé de se reposer chez sa grand-mère maternelle à Neuvy-au-Houlme pendant plusieurs mois. En 1937, il est rétabli et sa mère achète le café des Trois Croix à Argentan. La même année, il devient apprenti boucher à Boucé, puis, en 1938, ouvrier boucher à Sainte-Gauburge (canton du Merlerautt). Il s'engage ensuite pour trois ans au 6e Génie au sein duquel il est employé à la détection des cellules communistes du 3e bataillon. Trois mois après, il part volontaire pour les théâtres d'opérations extérieures où il sert au 33e bataillon du Génie, successivement à Beyrouth, Alep, Damas, et au sud-Liban. Lorsqu'il se trouve mobilisé en Syrie en 1941, il doit combattre les troupes françaises libres et les Britanniques. Rapatrié en septembre, décoré de la croix de guerre, il revient, en janvier 1942 après sa démobilisation, vivre dans l'hôtel de sa mère réquisitionné par l'occupant. Puis, sous l'influence d'un collaborateur notoire, il entre rapidement au MSR, puis au PPF.
Arrêté par le contrôle économique pour trafic de viande, il est emprisonné de décembre 1942 à mars 1943 puis il part en Allemagne, requis par le Service du travail obligatoire. Rentré en permission en novembre 1943, il s'installe à Alençon dans un hôtel nouvellement acheté par sa mère. Il prend
contact avec
le lieutenant Oertel chargé du
STO, et pour ne pas repartir, s'engage comme chauffeur au service de la main-d'oeuvre.
En avril,
Jardin, qui aime l'argent, s'adonne à nouveau au trafic et se procure à
Paris des titres de rationnement qui finissent par être découverts par une femme de ménage, dans un tiroir du bureau de la main-d'oeuvre. L'homme est arrêté mais
Hidlebrandt, chef de la
Gestapo d'Alençon, remarque ses qualités. Il sait garder la tête froide, ne panique pas, se révèle intelligent, sachant prendre du recul.
Hildebrandt lui propose un marché : en échange de l'abandon des poursuites, il doit se mettre à son service
. Jardin hésite mais le chef du
PPF l'invite à entrer dans les groupes d'action pour la justice sociale. Il accepte, se met au service de la
Gestapo, et devient le bras droit
d'Hildebrandt.Dès lors, le fanatisme de
Jardin, exacerbé par
Hildebrandt, va lui permettre d'agréger autour de lui les collaborationnistes les plus motivés et les plus dévoyés. La lutte qu'il engage avec son groupe contre la
Résistance, les réfractaires au
STO, d'une façon générale, contre les insoumis, se révèle acharnée. Après le 6 juin 1944, bénéficiant de renforts venus de
Caen et de Paris, la lutte n'en sera que plus terrible et les exactions quotidiennes.
Du 13 au 17 mai 1944 à
Argentan, par exemple,
Jardin et son groupe mènent plusieurs rafles pour retrouver le
général Allard qui éclaircissent considérablement les rangs de la Résistance locale.
Toujours à la recherche du général,
Jardin suit sa trace et enquête
ensuite à
Flers. Il y arrête, le 22 mai, des responsables de l'
ORAet le 23, participe au démantèlement du groupe de résistants d'
Athis,sur les indications de
Walter Hoffmann. Le 5 juin 1944, son groupe décime le
maquis de Courcerault (canton de Nocé). Du 10 au 12 juin suivant, une attaque vise
le maquis de Tanville (canton de Sées) qui est lui aussi mis hors d'état de nuire. Le 13 juin, c'est au tour du
maquis de Lignières-la-Doucelle (Mayenne) d'être victime d'un démantèlement durant lequel est arrêté Daniel Desmeulles, chef de la Résistance ornaise. Au mois de juillet, l'essentiel de ses enquêtes est mené de façon à mettre la main
sur deux grands responsables de la Résistance ornaise : Jacques Foccart, du
Réseau Action Plan Tortue, et André Mazeline, chef des
FFI de l'Orne,
successeur de Desmeulles. Cette traque sans relâche se traduit par des vagues de terreur autour de
Tanville puis se poursuit au sud d'
Ecouché,
où de nombreuses arrestations sont opérées. Fin juillet, cette vague de terreur se déplace autour d'
Alençon où, le 24, François Bouilhac, chef de
l'Armée Secrète pour le secteur d'
Alençon, est arrêté. Après la décimationcomplète du
maquis de Saint-Cyr-la-Rosière, le 4 août 1944, les exactions de
Jardin et de sa bande se terminent le 9 août suivant par le massacre de cinq dirigeants de la Résistance ornaise à
l'Hôme Chamondot. A partir du 10 août 1944,
Jardin et ses équipiers quittent définitivement le département de l'Orne. Sur leur trajet, qui remonte par Evreux, Rouen, Dieppe et Saint-Quentin, ces derniers parviennent à arrêter cinq résistants et en exécutent un à Bailleul-Neuville (Seine-Maritime).
S'en suit une fuite vers la Belgique, le Luxembourg puis l'Allemagne. Jardin se retrouve le 1er septembre comme chauffeur àCoblence. Il y est rejoint par une dizaine d'auxiliaires dont son ami et brasdroit
Eugène Duru. Hildebrandt redevient ensuite leur chef et les répartit dans les services
Brudigam et
Estève. Du mois de novembre à celui de décembre,
Jardin accomplit quatre missions de renseignement au travers des lignes américaines. Puis, il s'installe à Trèves, à proximité immédiate de la frontière. Suite à l'invasion progressive de l'Allemagne par les troupes alliées, Jardin quitte l'Allemagne, gagne l'Autriche et termine, avec d'autres, son aventure dans le nord de l'Italie.
A la fin du mois d'avril 1945, l'Italie est délivrée dans sa totalité,
Jardin s'enfuit et regagne la France où se produit son arrestation au mois de septembre 1945.
Le procès de
Bernard Jardin (
voir ci-dessous) s'ouvre devant la cour de justice de l'Orne au mois d'avril 1946. Le 10 avril 1946, il est condamné à mort devant un parterre de plusieurs dizaines de résistants venus assister aux derniers moments de celui qui les avait traqués.
Le 17 août 1946, Jardin est conduit dans l'enceinte de la maison d'arrêt d'
Alençon pour être exécuté ; il a eu 26 ans le jour précédent.
Le procès de Bernard Jardin Bernard Jardin est arrêté en septembre 1945 en Italie, puis transféré à Marseille, Rouen, Caen et Alençon.
Entre-temps, les Ornais
"hantés par le souvenir du sinistre criminel, sont atteints d'une curieuse maladie, la Jardinite, comme l'appellera ... le procureur Jacobsen au cours de son réquisitoire " (
Ouest-France, 30 janvier 1947). Ils voient Jardin partout et bien de ses homonymes sont inquiétés.
Jardin assiste aux procès de ses
complices, apporte des témoignages précis, distanciés, froids, n'hésite pas à donner son avis, contredire ou approuver les récits de ses anciens amis.
Le procès a enfin lieu le 10 avril 1946. Il se déroule dans un climat mortifère : le
docteur Petiot, chez qui est mis à jour un véritable charnier, responsable de vingt quatre crimes, vient d'être découvert à Paris puis condamné à mort. Jardin est "
notre Petiot, cet ancien boucher qui tuait avec tant de dextérité ". (
Le Perche libéré, le 20 avril 1946).
Plus de deux mille personnes auraient souhaité assister au procès. Trop de
monde, crainte d'un "
coup dur ", " le parquet aurait préféré trier l'auditoire et faire jouer la sinistre comédie à bureau fermé " constate
le Perche libéré le 20 avril 1946.
Ne sont autorisés à être dans la salle du tribunal que quatre cents personnes acceptées uniquement sur carte, résistants, déportés ou parents de victimes jusqu'au troisième degré.
La séance est attendue, théâtrale, surveillée par de nombreux gendarmes, soldats, suivie par la presse écrite et parlée, locale et nationale, relatée le lendemain avec
de nombreuses photos et dessins. Le tribunal est comparé à "
une grande arène "
(Le Maine Libre) et le prévenu présenté comme
" la grande vedette du mal ". Le président du tribunal, Chaix, et le procureur Jacobsen sont rôdés. Ils se sont occupés des précédents procès ; les quatre jurés, dont une femme, suivent les
débats. Les avocats donnent du relief : Maîtres Marcel Hubert et surtout Jacques Isorni, grand orateur, défenseur du maréchal Pétain.
La matinée du procès est consacrée à la lecture du rapport relatant les tristes exploit de Jardin : vingt-cinq pages dactylographiées, quarante minutes de récit.
Jardin répond : "
C'est exact ".
La séance reprend à 14h45. Un seul témoin intervenant, Mlle Level, qui reconnaît
l'intervention de Jardin en sa faveur lors du
massacre de l'Hôme-Chamondot.
Le procureur conclut son réquisitoire : "
La police allemande sans Jardin et ses agents de moindre envergure aurait été impuissante " (
Le Maine Libre, 11 avril 1946).
Maître Isorni plaide pendant une heure et demie : long discours qui aide à
comprendre l'hostilité vis-à-vis de Pétain, dont les collaborationnistes se réclament encore en 1944. Lors du procès Jardin, Maître Isorni déclare :
" J'ai eu l'honneur de défendre le Maréchal Pétain ", phrase accentuée par celle de Jardin :
" Je pensais qu'il était possible de faire l'unité du pays sous l'égide du Maréchal Pétain, ce qui explique que j'ai adhéré au national-socialisme ". L'avocat demande la vie pour
Jardin.
Après une courte délibération, le jury refuse toute circonstance atténuante. Jardin est
condamné à mort, à la confiscation totale de ses biens. "
La foule, au paroxysme de son agitation, quitta alors la salle en applaudissant cet acte ".
Jardin, vingt-six ans, dernier des huit condamnés à mort effectifs, est exécuté le 17 août 1946, le lendemain de son anniversaire, quatre mois après son procès. Ce jour au petit matin, à 5h30, un juge suppléant, un avocat, l'aumônier, pénètrent dans la
cellule, annoncent au criminel que l'heure est venue de payer "
sa lourde dette à la société et à la France " : office religieux, accolade aux cinq co-détenus, lettres à sa famille, cigarette traditionnelle et verre de Calvados. Il est 6H45.
Le peloton d'exécution est composé de six sous-officiers français et de deux
sous-officiers nord-africains, tous volontaires. Les gendarmes de la brigade
d'Alençon sont également là.
A 7h05, alors que retentissent les premiers commandements, Jardin s'écrie :
"
Vive le national-socialisme ! Et vive la France quand même ".
Une salve : Jardin avait expié.