Ze-Pole
Nombre de messages : 2446 Date d'inscription : 10/04/2007
| Sujet: Témoignage vétéran du 10ème Chasseurs à Cheval (10ème PSK) Dim 8 Juin - 16:24 | |
| Rencontrer des vétérans, écouter leurs témoignages, regarder avec eux leurs photos ou documents, tout cela consitue une activité très intéressante. J'ai pu rencontrer à nouveau M. Misiak dont j'avais déjà utilisé le témoignage. Je le propose cette fois-ci enrichi d'anecdotes et détails supplémentaires. Bonne lecture. Je suis né en Pologne, le 17 novembre 1918, à Chootylub, à côté de Ciechanow, dans le sud est. Mes parents en 1924, en France, pour y travailler dans de nombreux domaines. J’ai fait de nombreux métiers avant guerre : à 12 ans : je travaillais dans une ferme, à 13 j’étais commis boucher, à 14 ans je naviguais sur des péniches et à seulement 15 ans je me retrouvais chef d’exploitation en forêt.
Le 2 septembre 1939, j’étais à la gendarmerie de Vailly sur Aine, pour m’engager volontaire. L’armée polonaise allait se reformer en France et je voulais être de la artie. Mobilisé en octobre 1939, je fus dirigé vers Coëtquidan, en tant que traducteur. Je me promenais dans toute la Bretagne pour chercher des logements pour tous les troufions. J’accompagnais un adjudant polonais qui ne parlait pas français à la recherche de chambres disponibles. On a commencé à peine à suivre une formation militaire (tir, marche, défilé). L’équipement était bon. Je me baladais beaucoup plus dans la campagne, en tant que traducteur, que sur le champ de manœuvre. Je dois reconnaître que j’avais une place un peu privilégiée.
Le 10 mai 1940, jour de l’attaque allemande, j’étais dans la train pour revenir en perm à la famille. « Tout le monde descend. Les Allemands envahissent la Belgique ».
Retour vers Paris où on nous a donné du matériel tout neufs (camion , munitions,) à part que les balles ne rentraient pas dans les canons des fusils… On descend vers Bordeaux. Un partie des Polonais est partie vers la Suisse, une autre vers la Bretagne puis Bordeaux. On s’y est embarqué. Je trouve une place dans un bateau de a Royal Navy, le Royal Scots Man ; on s’y trouve à plusieurs centaines. 600 bonhommes. Trois jours et trois nuits de traversée. On a failli se faire bombarder le soir même, mais par chance les obus sont tombés à côté. Je me souviens que le bateau était défendu par des mitrailleuses. Nous arrivons à Liverpool où un très bon accueil nous est réservé.M. MISIAK, couché, à gauche sur la photo. Juste à sa gauche, avec un casque modèle 35, le lieutenant NOWAK. M. MISIAK en Grande-Bretagne. M. MISIAK, sous le flèche, lors de la visite du Général Eisenhower. Aussitôt, on prend la direction de l’Ecosse. Les gens y sont très chaleureux. Nos premiers quartiers consistent en des tentes, sous lesquelles on a passé l’hiver. On a réussi à avoir à disposition une usine à Forfar pour nous loger en partie. Assez rapidement, on est équipé par les Anglais. Population locale nous a vraiment très bien reçus. Tout de suite on s’est fait des amis, des vrais, qui nous « prenaient » pour passer une soirée. On surveillait la cote écossaise. Je dos signaler quelques alertes (dont la fois où deux gars du 10ème PSK auraient été embarqués par un sous-marin allemand).
6 juin 1944 : on a été avertis du Débarquement. Tout le mode était prêt à partir mais il nous a fallu attendre plus de deux mois. On étaient bien préparés ; jours et nuits, on faisait des exercices. On est descendus avec porte-chars vers le Sud pour embarquer, puis du côté de Londres on pilote nous-mêmes nos chars. Je me rappelle qu’on dormait dans Londres, dans les parcs, sous des tentes. Londres était alors bombardée par des V1. Mon officier, le sous-lieutenant NOWAK, ne s’était aperçu de rien. Il avait dormi comme un bébé.
On prend le bateau au sud de l’Angleterre. En cours de route, on est arrivé à trois ou quatre km d’un village anglais qui se faisait bombarder. On attend avant de continuer notre progression. Quand on est arrivé dans le village, les gens étaient dehors, ils sortaient tout dehors et disaient de se servir. Un cordonnier continuait de travailler sur le trottoir alors que son magasin était détruit.... So british ! Les habitants montraient leurs poings vers nous et nous criaient « Vengez-nous ! Vengez-nous! ». On étaient regonflés à bloc !
Pour me situer dans la 1ère DB polonaise, j’étais radio opérateur au 10ème Chasseurs à Cheval, 1er Escadron, 1er Peloton. Notre char était un Cromwell, un formidable engin qui atteint les 60 kilomètres à l’heure. C’était rassurant ; on savait qu’on pouvait ficher le camp d’un traquenard aussi vite qu’on y était arrivés (rire). Notre pilote était Edward CYMERMAN. Stanislaw KOS était notre tireur. Pour ce qui est du copilote, j’ai oublié le nom (il nous avait rejoint au dernier moment, cela arrivait souvent dans les équipages de blindés). Le chef de char était le lieutenant Wladyslaw NOWAK, un véritable ami, un officier consciencieux, soucieux du sort de ses hommes.
On a débarqué à Courseulles-sur-Mer fin juillet. On traverse Caen, entièrement détruit. Une vision dantesque. Un choc car je connaissais bien la ville (j’avais travaillé dans le secteur avant la guerre, chef d’exploitation forestière dans la Manche).
On nous a dit qu’on était là pour aider les Canadiens qui venaient de prendre Caen et qui avaient pas mal souffert.
Je parle bien sûr français. Je faisais du troc pour les copains et moi… J’entends un fermier nous annoncer le plus naturellement du monde : « Les Allemands nous donnaient des vêtements, des chaussures… Moi, je leur donnais du lait, des œufs. On s’entendait bien ». Il regrettait le départ des Allemands. Drôle de sentiment. Je me suis surpris à vouloir le descendre…
Le baptême du feu intervient le 8 août 1944. Je n’avais aucune peur dans le char. Des copains étaient tués mais on se disait que c’était leur jour, rien de plus. On était distants par rapport aux évènements. Même pendant le bombardement, on allait chercher des blessés avec le Colonel WASILEWSKI.
Je me rappelle le 14 août où ce colonel s’est exposé au plus fort des bombardements. On s’est fait bombarder par les avions américains. Chars retournés, des équipages tués par nos alliés américains. On nous a dit qu’ils s’étaient trompés de 10 miles. On s’apprêtait à attaquer les Allemands lorsque soudain on a été pris par ce bombardement. Les Canadiens avaient pourtant mis, je m’en rappelle, des espèces de bâches jaunes et des fumigènes jaunes au sol pour se signaler. Le temps de réparer, de reprendre des chars, on était de nouveau prêts à l’attaque le soir même.
A mon poste de radio, je me suis toujours demandé ce que pensaient les Allemands qui entendaient parler polonais… Ca n’a pas empêché de nous faire tirer comme des lapins. On s’est fait tirer dessus par des Tigre, du côté de Jort et Vendeuvre. Ces blindés étaient très impressionnants. On a reculé, pas bien loin, pour se réorganiser. On était à l’orée d’un bois. Il y avait des Canadiens qui y avait passé la nuit; J’étais assis sur mon char. Je discute avec un officier canadien. Je demande si c’est calme. Il me dit oui. A 500 mètres, je lui dit qu’il y a quelqu’un. Il me dit non. On regarde…attentivement… Je le vois changer de couleur. Je prends la radio, informe qu’il y a du mouvement. J’appelle le QG et demande si on a du monde à nous devant nous. On nous répond qu’on est en première ligne, et que ce ne sont pas des amis. Le tireur tire une rafale dans leur direction et on a vu les soldats se sauver, se cacher dans des tranchées. Il n’y avait pas 500 mètres entre nous. On a commencé à tirer à 10h00 le matin jusqu’à 16h00, histoire d’être tranquilles... pour prendre la position. Au feu, mes réactions étaient parfois étranges. Un copain arrive, nous embrasse tous : « Aujourd’hui, ce soir, je ne serai plus là ». On reçoit l’ordre de passer de l’autre côté d’un chemin ; à ce moment-là, notre pilote dit qu’il ne peut pas bouger ; la chenille de droite était cassée ; on avait été touchés et on ne s’en était pas aperçu. Même si notre équipage était arrivé premier en rapidité pour changer une chenille, à l’entraînement en Angleterre, là sous la mitraille, c’était autre chose ! Le lieutenant donne l’ordre alors au char qui nous suit de passer devant nous. Il traverse, arrive sur les tranchées allemandes, cocktail Molotov sur le char, les cinq gars sautent du char, bagarre au couteau, et tous les cinq reviennent à l’abri derrière la tourelle de notre char. Le troisième char sur notre gauche, nous remorque et nous tire vers l’intérieur de notre dispositif. Arrivé là-bas, on se moque du gars qui nous avait dit qu’il serait mort aujourd’hui, lui montrant qu’il l’avait échappé tout de même. Une demi-heure après, on nous apprend son décès. Il avait reçu un morceau de mortier dans la tête alors qu’il s’était mis en protection sous le char, à plus de 3 km en arrière du front !
Un grand moment pour notre régiment a été le passage de la Dive : c’est le sergent LASKOWSKI qui passe la rivière la premier. Je passe au même endroit. C’était assez difficile. Les Allemands tenaient une grande bâtisse en face ; il ont été dégagés avant qu’on s’engage. Le lendemain , on y a improvisé un pont. Très peu de civils étaient visibles.Char Cromwell du 10ème PSK détruit lors des combats du passage de la Dives. Le ravitaillement se faisait bien, avec nos propres compagnies de ravitaillement. Tout suivait. Cela permettait d’avoir un rythme soutenu dans nos attaques.
Le 17 août 1944, la chaleur était suffocante. Très tôt, le matin, nous étions déjà aux fesses des Allemands encerclés dans la Poche de Falaise. Nous avions passé la journée dans notre char, en premières lignes, sans aucun repos, sans le moindre arrêt même pour uriner, lorsque nous nous sommes arrêtés dans un verger, vers 18h45, non loin de Trun. Nous n’avions alors absolument plus de munitions. Environ 15 minutes après cette halte, nous recevons l’ordre de remonter dans le char et de continuer sur Trun pour opérer la jonction, apprend-on alors, avec les Américains qui devaient se trouver tout proche de cette localité (on nous avait dit trois kilomètres). Sans munitions, on n’apprécie guère ! Colère ou pas, un ordre est un ordre. Je me trouvais habituellement debout dans la tourelle, à côté de mon lieutenant, mais ce soir-là, je ne sais pas trop pourquoi, je me suis assis sur mon siège et ai pris le périscope pour pouvoir observer. Après avoir parcouru quelques centaines de mètres, j’ai senti une force me pousser, et un obus a traversé le char en tuant mon lieutenant qui fut presque coupé en deux. Je fus très grièvement blessé. J’ai immédiatement pensé « Je suis mort » mais aussitôt après je suis revenu à moi. J’ai commencé à sortir du char aidé par le conducteur du char qui m’a allongé au fond d’un trou d’obus. Sentant mon sang couler dans ma chaussure et le long de mon bras, je lui demandai de prendre mes lacets de chaussure et de me faire un garrot. Mais lui n’arrêtait pas de me dire « Mon pauvre Andrej ! Mon pauvre Andrej ! » Je lui répondais que tout allait bien mais lui ne regardait que ma poitrine qui était ouverte, une partie de mon poumon gauche arraché. A aucun moment, je n’ai perdu connaissance sauf la seconde du choc dans le char. J’ai vu mon ami se sauver et des soldats arriver, un d’eux me disant en anglais « We are sorry, we did it » (nous sommes désolés, c’est nous qui avons fait ça). Je regardais le soldat penché sur moi en me disant, très lucidement, que la guerre était terminée pour moi. Il pensait avoir affaire à des Américains. Il me dit que c’était la faute des Juifs et des Anglais qui nous avaient amenés à nous combattre. Ils me prenaient pour un Américains. Eux, c’étaient des SS qui après s’être attaqués au pain blanc et aux boîtes de conserve, m’ont emmené près de leurs chars, des Tigre qui nous ont détruit quatre de nos chars, tué six soldats et blessé six autres. J’étais conscient, et j’ai pu obtenir une dose de morphine, administré par l’un des soldats allemands. J’ai cru ma dernière minute venue lorsque j’ai vu plusieurs SS, au cours de leurs fouilles, vider le caisson du char où se trouvaient des tenues avec des POLAND sur le haut des manches… Fort heureusement, ils ne remarquèrent pas ces signes de nationalité ! J’avais aussi terriblement soif, réclamais à boire, mais le jerrican rempli d’eau avait été cisaillé par l’obus. Un jeune officier SS m’a emmené et m’a laissé sur le champ de course de Trun, où des civils s’abritaient sous les tribunes. Tout cela s’est passé en un quart d’heure. Les civils parmi lesquels se trouvaient un médecin et des infirmiers, m’ont déshabillé et fait boire un grand verre de calvados. Je les ai entendu dire, pensant que je ne comprenais pas le français, : « Celui-là, c’est pas la peine, il est foutu ». Le médecin a tout de même commencé à retirer les morceaux de fer visibles, et pendant ce temps, je leur disais qui j’étais. Je suis resté deux jours couché sur la paille. Le 19 août, une ambulance canadienne m’a emmené vers un hôpital, sous une tente. Là, j’ai été opéré et sauvé. Personne n’aurait parié un euro sur ma vie… On me donnait tout au plus deux semaines à vivre. J’ai quitté l’Angleterre en 1946 ; les toubibs trouvaient que je n’étais pas assez guéri… Je me suis mis en colère et ai quitté l’hôpital sans leur avis. J’ai encore une douzaine de bouts de ferraille dans le corps.Monsieur André MISIAK, 10ème Régiment de Chasseurs à Cheval. Unités médicales polonaises en action lors des combats de Normandie. M. MISIAK. Encore un grand merci à M. Misiak pour tout le temps qu'il aura bien voulu me consacrer. | |
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